Les périodes sensibles 2/2

Nous avons eu le plaisir la semaine dernière de revenir pour vous sur les périodes sensibles, une des découvertes fondamentales de Maria Montessori. Continuons ensemble aujourd’hui notre tour d’horizon avec la période sensible des perceptions sensorielles, du langage, du développement social, pour finir sur celle des petits objets. Elles représentent un savoir utile pour les parents, pour peu qu’on apprenne à reconnaitre leurs manifestations et qu’on fasse en sorte de les respecter.

Retrouvez la première partie de cet article ici

La période sensible des perceptions sensorielles

C’est une notion fondamentale dans la pédagogie Montessori : l’enfant découvre le monde à travers ses perceptions sensorielles.

Le fœtus est protégé dans le ventre de sa mère et ses impressions sont atténuées. Mais la naissance est un choc pour lui qui découvre en même temps toutes les sensations : bruits, odeurs, différence de température, faim, apesanteur… Pour s’orienter dans ce monde nouveau pour lui, le nouveau-né va être guidé par cette période sensible afin de s’imprégner et classer ces sensations.

Le nourrisson va ensuite rapidement attraper tout ce qu’il peut et tout porter à sa bouche pour découvrir le monde. Offrons-lui dès le plus jeune âge des expériences sensorielles. Pour cela pas besoin de matériel onéreux ! Laissons le bébé expérimenter la sensation de ses pieds nus sur l’herbe, faisons-lui sentir l’odeur des aliments ou des herbes aromatiques en cuisinant… Puis offrons très tôt au jeune enfant la possibilité de manipuler les objets de la vie quotidienne. Quand il aura assez explorer son monde, il sera en mesure de construire des images mentales qui lui permettront progressivement de passer du concret à l’abstraction.

Comme la période sensible du mouvement, avec laquelle elle est intimement liée, la période sensible des perceptions sensorielles se décompose en deux phases : le développement des perceptions de 0 à 3 ans puis leur raffinement jusqu’à l’âge de cinq/six ans.

La période sensible du langage

Le langage de l’enfant connaît comme son mouvement un développement fulgurant dans les premières années de vie de l’enfant.

Dès ses premières semaines de vie, le nourrisson reconnaît les voix de ses parents et s’y intéresse particulièrement. Vers 6 mois, il va commencer à absorber le langage présent dans son environnement. Les balbutiements apparaissent, puis il prononcera ses premiers mots intentionnels vers son premier anniversaire. Vers 18 mois, il comprend que chaque objet a un nom particulier. Il développe son vocabulaire jusqu’à l’explosion du langage oral que Maria Montessori situe vers l’âge de deux ans.

Ses progrès sont fulgurants, pourtant personne ne lui enseigne à parler. Il lui suffit de vivre, soutenu par cette période sensible essentielle.

Il ne faut pas sous estimer cette période sensible et la puissance de la frustration que l’enfant peut ressentir avant de réussir à se faire comprendre. Elle est à l’origine de beaucoup de crises dans la petite enfance :

« La période pendant laquelle l’intelligence a beaucoup d’idées et où elle est incapable de les communiquer parce qu’elle ne sait pas s’exprimer par le langage, est une période dramatique dans la vie de l’enfant ; elle lui apporte les premières désillusions de la vie. Dans son subconscient, il essaie de toutes ses forces de s’exprimer. »

Mais c’est aussi cette frustration qui motivera l’enfant dans ses apprentissages ! L’enfant va continuer à absorber le langage, et sa période sensible accompagnera une nouvelle explosion, celle du langage écrit, vers l’âge de quatre ans et demi.

Cette période sensible accompagnera l’enfant jusqu’à l’âge de six ou sept ans où il vivra une troisième explosion, celle de l’exploration de la grammaire. C’est pour cette raison qu’on aborde la nature des mots à partir de 5 ans et demi dans les écoles Montessori. Il s’agit encore d’une occasion à ne pas rater !

La période du développement social

Cette période sensible ne connaît pas d’explosion comme nous avons pu le voir auparavant, mais accompagne l’enfant de manière très progressive jusqu’à ses six ans.

A sa naissance, l’enfant n’est pas encore construit psychiquement, donc bien loin de s’intéresser aux comportements sociaux de son espèces.
Jusqu’à l’âge de deux mois, le nouveau-né ne réalise même pas qu’il est un être indépendant de sa mère ! Il est un embryon psychique selon Maria Montessori, et doit se construire avant de pouvoir devenir un embryon social à l’âge de trois ans. C’est grâce à la période sensible du développement social qu’il va pouvoir, à partir de cet âge-là, développer des comportements sociaux appropriés pour pouvoir plus tard entrer en relation avec ses pairs et vivre en harmonie avec eux.

Le nombre d’enfants par classe est une des fausses croyances répandues concernant les écoles Montessori. On pense souvent que les enfants sont moins nombreux que dans le système classique. Pourtant Maria Montessori insiste sur le groupe nombreux. La première Maison des Enfants à San Lorenzo comptait même une soixantaine d’enfants !

« Quand la classe est nombreuse, les différences de caractère se révèlent mieux et les expériences sont plus faciles. (…) Le plus grand perfectionnement d’une classe survient grâce aux expériences sociales. »

Le mélange des âges est aussi selon elle important pour soutenir cette période sensible. Les plus jeunes apprennent beaucoup au contact des plus grands, et les plus grands renforcent leurs connaissances en aidant les plus petits.

La période sensibles des petits objets

Entre l’âge de 15 mois et celui de trois ans, l’enfant devient sensible aux petits objets qui l’entourent, aux touts petits détails qu’il va rechercher dans son environnement.

« Dès le début de sa seconde année, l’enfant n’est plus attiré avec la fascination propre aux périodes sensibles par les choses clinquantes, par les couleurs vives, mais plutôt par de petites choses qui nous échappent. On dirait que ce qui l’intéresse, c’est l’invisible : ce qui se trouve aux confins de la conscience.»

L’œil de l’enfant entre dans une nouvelle phase de maturité et il a maintenant la capacité de changer de focale entre la vision globale des choses et la vision fine. Un nouveau monde s’offre à lui ! Il va être prendre un plaisir intense à percevoir les petites poussières qui volent dans une pièce et que l’on perçoit quand il y a un rayon de soleil qui la traverse, un grain de riz coincé entre deux lattes d’un parquet, ou encore les petits insectes qui ont une taille quasi-microscopique.

A nouveau, la patience est de rigueur chez les parents et les éducateurs… Laissons l’enfant libre d’explorer le monde, offrons-lui du temps, et apprenons à partager sa joie. Pour nous il s’agira sans doute seulement d’un tout petit caillou, mais pour lui il s’agit d’un trésor, ne l’oublions pas !

Pour aller plus loin :

Maria Montessori, l’Enfant, nouvelle édition, aux éditions Desclée de Brouwer.

Maria Montessori, l’Esprit Absorbant de l’Enfant, aux éditions Desclée de Brouwer. 

Les périodes sensibles 1/2

Si vous vous intéressez au développement de l’enfant, vous avez sans doute déjà entendu parlé des périodes sensibles. Cette notion fait partie des découvertes majeures de Maria Montessori au sujet de l’enfance et est un pilier de la pédagogie qu’elle a développée. Nous vous proposons aujourd’hui de mieux les connaître, de vous aider à comprendre leur utilité et d’apprendre à reconnaître leurs manifestations. Tout un programme !

Maria Montessori a emprunté le terme de périodes sensibles au botaniste néerlandais Hugo de Vries qui avait mis en évidence une sensibilité particulière à la lumière chez la jeune chenille, qui permet de la guider vers les feuilles les plus appropriées à sa croissance. Pourtant une fois adultes, les chenilles deviennent indifférentes à la lumière. De la même façon, le jeune enfant va connaître au cours de ses six premières années des sensibilités particulières qui l’aideront à se développer.

Qu’est-ce qu’une période sensible ?

Maria Montessori décrit les périodes sensibles ainsi dans son livre L’Enfant :

« Il s’agit de sensibilités spéciales, qui se trouvent chez les êtres en voies d’évolution, c’est-à-dire dans les stades de l’enfance. Elles sont passagères et se limitent à l’acquisition d’un caractère déterminé. Une fois ce caractère développé, la sensibilité cesse. »

En d’autres termes, les périodes sensibles sont des laps de temps pendant lesquels le jeune enfant sera particulièrement sensible à certains aspects de son milieu, lui permettant de développer une capacité naturellement et sans effort conscient. Elles prouvent que le développement psychique n’arrive pas au hasard. Certains instincts dirigent l’enfant dans son développement en restant (presque) invisibles à nos yeux.

A quoi servent les périodes sensibles ?

Elles vont permettre à l’enfant de faire des acquisitions essentielles, comme la marche ou le langage, sans intervention de notre part ! Elles sont donc une formidable opportunité pour lui ainsi que pour ses parents ou ses éducateurs. Il suffit d’apprendre à reconnaître ces périodes sensibles et à les respecter, notamment en fournissant à l’enfant un environnement qui n’entrave pas son évolution naturelle, pour lui permettre d’apprendre avec enthousiasme et sans effort conscient. What else ?

Pourquoi est-il essentiel de connaître les périodes sensibles ?

Mieux comprendre l’enfant

Ce que nous appelions auparavant caprices sont en fait des manifestations virulentes dues au non-respect de ces périodes sensibles. La violence de ces manifestations est à la hauteur de l’intensité du besoin de développement de l’enfant.

Il y a plus d’un siècle, Maria Montessori pensait déjà que l’on se trompait avec le terme de caprices, qu’elle définissait elle-même comme les premières « maladies de l’âme » :

« Avant d’avoir étudié ces réactions nous jugions qu’elles étaient sans cause ; devant leur résistance, nous les avons traitées de caprices. Nous appelons de ce terme vague des phénomènes très différents entre eux. Pour nous, est caprice tout ce qui n’a pas une cause apparente, toute action illogique et invincible. »

Aujourd’hui les neurosciences ont démontré que l’enfant de moins de six ans est gouverné par ses émotions et a besoin de nous pour apprendre à les réguler. Il est donc important pour nous, parents, d’essayer de comprendre la cause des crises…

En connaissant les six périodes sensibles, nous serons plus en mesure de comprendre les crises traversées par l’enfant, nous pourrons en identifier certaines, mieux comprendre l’enfant et donc l’aider à s’apaiser. Nous pourrons aussi apprendre à les éviter en lui proposant un environnement adapté à son épanouissement, comme l’explique Maria Montessori :

« Les caprices de la période sensible sont l’expression extérieure de besoins insatisfaits ; ils constituent de véritables avertissements d’une situation fausse, d’un danger ; ils disparaissent immédiatement, quand il est possible de les comprendre et de les satisfaire. »

Un potentiel incroyable mais passager

Maria Montessori explique que la période sensible est une occasion en or pour aider l’enfant à se développer mais qu’une fois terminée, celle-ci disparaît pour toujours. Il nous faut donc être réactif pour pouvoir exploiter tout son potentiel :

« Si l’enfant n’a pas pu obéir aux directives de la période sensible, l’occasion d’une conquête naturelle est perdue, perdue à jamais. »

Prenons l’exemple de la période sensible du langage. Si on en a conscience , on peut facilement repérer l’attrait naturel de l’enfant pour les livres et les lettres. On pourra lui fournir des occasions de développer son potentiel, ce qui pourra aboutir à l’apprentissage de l’écriture et de la lecture avant ses cinq ans. Cet apprentissage, qu’on appelle précoce dans notre société, ne l’est pas selon Maria Montessori qui situe l’explosion du langage écrit vers l’âge de quatre ans et demi.

Bien sûr, une fois la période sensible terminée, l’enfant pourra toujours apprendre à lire en primaire. Alors quel intérêt à apprendre à lire si jeune me direz-vous ? L’enthousiasme, la joie, la facilité ! Souvenez-vous, avant six ans, l’enfant apprend sans effort conscient ! Pour lui ce n’est rien de plus qu’un jeu, il n’a pas conscience d’être en train de développer une acquisition fondamentale… Après six ans, l’enfant devra travailler consciemment pour apprendre à lire, et il associera davantage l’apprentissage à l’effort.

Les six périodes sensibles selon Maria Montessori

La période sensible de l’ordre

Votre enfant a décidé de classer tous ses jouets par couleur ? Il est en crise car vous n’avez pas rangé ses chaussures à leur place habituelle, ou parce que vous avez oublié un élément du rituel du coucher ? Il s’agit sûrement de manifestations de la période sensible de l’ordre.

Cela peut surprendre les adultes qui ont tendance à penser que l’enfant est désordonné par nature, mais celui-ci a besoin d’ordre dès son plus jeune âge. L’ordre est vital à l’enfant. Pour être sécurisantes pour lui, les choses doivent être ordonnées. Dès l’âge du Nido, le nourrisson a besoin de rituels qui lui permettent de se repérer dans le temps et d’anticiper les événements à venir. Il est important pendant le moment du change par exemple d’effectuer les mêmes gestes dans le même ordre. Nous devons offrir à l’enfant un cadre rassurant et logique pour l’aider dans son développement psychique. L’environnement que nous offrons à votre enfant doit être organisé, logique, pour lui permettre de se repérer :

« L’ordre des choses, c’est connaître la place de chacune d’elles ; c’est se rappeler l’endroit où chaque objet se trouve, c’est-à-dire être capable de s’orienter dans l’ambiance, la posséder dans tous ses détails »

Mais attention, on ne cherche pas ici à obtenir des enfants maniaques et ordonnés ! Comme toutes les périodes sensibles, l’ordre soutient la construction psychique de l’enfant : il a besoin d’avoir dans un premier temps une construction intérieure ordonnée pour pouvoir plus tard accepter la différence et le désordre.

Cette période sensible débute dès les premiers mois de l’enfant (même si elle est plus difficile à repérer avant que l’enfant puisse parler) et s’estompe aux alentours de deux ans pour s’exprimer ensuite de manière plus douce.

La période sensible du mouvement

Cette période sensible ne passe pas inaperçue… Nous avons tous déjà pu constater que les jeunes enfants ne tiennent pas en place. Et c’est tant mieux ! Pour Maria Montessori, le développement du mouvement est étroitement lié à celui de l’intelligence. Obliger l’enfant de moins de 6 ans à rester assis sur sa chaise pendant des heures n’a pas de sens à ses yeux. C’est pour cette raison qu’on laisse les enfants libres de leurs mouvements à la Maison des Enfants :

« Quand nous pensons à l’exercice de l’intelligence, nous imaginons tous les gens assis, immobiles ; mais le développement mental doit être relié au mouvement et dépendre de lui. »

Dès les premiers mois de l’enfant, l’idéal est donc d’opter pour la motricité libre afin de permettre à l’enfant de réaliser les mouvements que lui dicte son psychisme. Une fois arrivé l’âge de la marche, évitons le plus possible la poussette lorsque celle-ci n’est pas indispensable. Bien sûr ce n’est pas toujours facile, mais il faut essayer de respecter le rythme de l’enfant le plus souvent possible. Le trajet crèche-maison prendra sûrement deux fois plus de temps en le laissant marcher, mais il permettra à votre enfant de se construire !

« L’enfant, lui, marche pour élaborer ses propres fonctions. Son but est donc de se créer lui-même. »

La période sensible du mouvement dure particulièrement longtemps car elle comprend deux phases : celle du développement du mouvement, de la naissance à trois ans, puis celle du raffinement du mouvement, de trois à six ans.

Retrouvez prochainement la suite de notre article sur les périodes sensibles !